A l’ère numérique, la protection des droits de l’homme et des libertés de l’Internet est un défi fondamental devant être résolu de façon urgente, et le continent africain ne déroge pas à cette règle. La Déclaration Africaine des Droits et Libertés de l’Internet a été élaborée en réponse à ce défi.
L’accès à l’Internet ne cesse de croître sur l’ensemble du continent africain où des millions de citoyens se connectent et s’engagent sur les réseaux sociaux et autres plateformes numériques sur un large éventail de sujets, notamment sur des questions en matière politique, de gouvernance ou encore de développement économique et social, entre autres.
Comme dans d’autres régions du monde, de nombreux pays africains commencent à adopter des politiques, des réglementations et des législations en vue de réguler et, dans certains cas, de contrôler l’Internet. En effet, un grand nombre de ces pays sont en train de faire le passage d’un environnement Internet jusqu’ici peu régulé vers ce qui devient rapidement un environnement très fortement réglementé.
Dans la plupart des cas, ces lois et réglementations échouent non seulement à protéger les droits de l’homme mais violent également les normes et principes établis en la matière qui ne disposent pas de garanties suffisantes.
Il est donc clair que de nombreux gouvernements en Afrique ne disposent ni des compétences techniques et juridiques pour légiférer de manière appropriée, ni de la volonté politique d’assurer une protection intégrale des droits de l’homme dans le contexte d’Internet et des technologies numériques.
La plupart des tentatives de régulation de l’Internet et des activités en ligne semblent reproduire des pratiques provenant d’autres pays, lesquelles n’assurent ni la protection ni la promotion des droits de l’homme dans le contexte d’Internet et des technologies numériques. Ainsi, de nombreux gouvernements africains ont eu tendance à reprendre des lois problématiques adoptées dans d’autres pays ou régions et de les appliquer sans modifications ou presque. Inévitablement, les conditions et contextes locaux où ces lois sont adoptées sont très différents de ceux où ces lois ont été initialement développées.
De plus, dans la plupart des Etats africains le processus politique et législatif manque de mécanismes significatifs de participation ouverte ayant pour résultat d’exclure fréquemment des acteurs essentiels, notamment ceux issus de la société civile.
La conséquence en a été l’adoption d’instruments qui tendent à porter atteinte à la vie privée, à réprimer la liberté d’expression en ligne et à la violation d’autres droits, comme le droit à un procès équitable. L’analyse de ces instruments montre que ceux-ci prévoient souvent l’imposition de sanctions destinées à punir certains comportements en ligne sans l’exigence d’une procédure régulière.
Si les gouvernements ont une volonté légitime de réduire les activités criminelles en ligne, en particulier la criminalité financière et les activités terroristes, il existe également des cas concrets où la poursuite de ces objectifs a priori légitimes a servi de prétexte à l’introduction de dispositions visant à limiter les critiques faites aux gouvernements.
La Déclaration Africaine des Droits et Libertés de l’Internet vise donc à promouvoir des normes en matière de droits de l’homme et des principes d’ouverture dans la formulation et l’application de politiques relatives à l’Internet sur le continent.
Cette Déclaration a été motivée par le besoin de développer et de définir un ensemble de principes ayant vocation à informer, et espérons-le à inspirer, les processus politiques et législatifs relatifs aux droits, aux libertés et à la gouvernance de l’Internet en Afrique. Ces principes devraient s’appliquer largement aux niveaux nationaux, sous régionaux et régionaux. En ce sens, cette Déclaration vise à développer un environnement Internet qui soit compatible avec les normes établies en matière de droits de l’homme et qui puisse répondre au mieux aux besoins et aux objectifs de développement économique et social de l’Afrique.
Soulignant que l’Internet constitue un espace et une ressource propices à la réalisation de tous les droits humains, notamment le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions, le droit à la liberté d’expression et à l’accès à l’information, le droit à la liberté de réunion et d’association, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit d’être à l’abri de toute forme de discrimination, le droit des minorités ethniques, religieuses et linguistiques de jouir de leur propre culture, de professer et de pratiquer leur propre religion et d’employer leur propre langue, ainsi que les droits économiques, sociaux et culturels ;
Soulignant également que l’Internet est particulièrement utile pour le développement social, économique, et humain en Afrique ;
Affirmant que pour bénéficier pleinement du potentiel de développement de l’Internet, celui-ci doit être accessible, disponible et abordable pour tous en Afrique;
Affirmant en outre que l’Internet est un instrument essentiel à la réalisation du droit de toutes les personnes à participer librement à la gouvernance de leur pays et à jouir d’un accès équitable aux services publics;
Rappelant qu’un certain nombre de standards régionaux participent à la protection des droits de l’Internet, en particulier la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, la Déclaration de Windhoek pour la promotion d’une presse indépendante et pluraliste de 1991, la Charte africaine de la radio-télédiffusion de 2001, la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique de 2002, la Plateforme africaine sur l’accès à l’information de 2011, et la Convention de l’Union africaine sur la cyber-sécurité et la protection des données à caractère personnel de 2014 ;
Reconnaissant les rôles joués par plusieurs organismes africains et internationaux, notamment la Commission de l’Union africaine, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CENUA), l’Agence de planification et de coordination du NEPAD et l’UNESCO dans la promotion de l’accès et de l’utilisation d’Internet en Afrique ;
Conscients des efforts continus des organisations internationales et des autres parties prenantes visant à développer des principes qui s’appliquent aux droits de l’homme dans le contexte de l’Internet, en particulier depuis la Déclaration conjointe de 2011 relative à la liberté d’expression et l’Internet par les quatre Rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur la liberté d’expression : y compris
la Résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies de 2012 relative à la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur l’Internet ; la Résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur le droit au respect de la vie privée à l’ère numérique ; la Résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies de 2014 sur Internet et les droits de l’homme ; les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ; les Principes de Johannesburg relatifs à la liberté d’expression et à la sécurité nationale ; les Principes relatifs au droit de partager, les Principes de nécessité et de proportionnalité ; et les Principes de Manille sur la responsabilité des intermédiaires ;
Préoccupés par la persistance des inégalités d’accès et d’utilisation de l’Internet, et par l’utilisation croissante de l’Internet par des acteurs étatiques et non étatiques comme moyen de violer les droits de l’individu au respect de la vie privée et à la liberté d’expression à travers la surveillance de masse et autres activités connexes ;
Conscients que certains groupes et individus – en particulier les femmes et les filles, les personnes handicapées, les minorités ethniques, religieuses et sexuelles, ainsi que les personnes vivant en milieu rural – pourraient être menacés d’exclusion ou de marginalisation en relation avec l’exercice de leurs droits de l’homme dans le contexte de l’Internet et des technologies numériques.
Soulignant la responsabilité des États de respecter, protéger et réaliser les droits humains de toutes les personnes ;
Convaincus qu’il est d’une importance capitale que l’ensemble des acteurs africains s’investisse dans la création d’un environnement Internet favorable et stimulant au service des besoins réels des africains par l’adoption et la mise en œuvre de la présente Déclaration.
Nous déclarons ce qui suit :
L’Internet devrait avoir une architecture ouverte et distribuée, et devrait également
continuer à se développer sur la base de standards et d’interfaces d’application
ouverts et garantir l’interopérabilité afin de permettre l’échange commun
d’informations et de connaissances. Les possibilités de partager des idées et des
informations sur Internet font partie intégrante de la promotion de la liberté
d’expression, du pluralisme des médias et de la diversité culturelle. Des standards
ouverts soutiennent l’innovation et la concurrence, et l’engagement en faveur de la
neutralité du réseau promeut un accès égal et non discriminatoire au réseau et au
partage d’informations sur Internet.
L’accès à l’Internet devrait être disponible et accessible à tous en Afrique sans
discrimination aucune fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue,
la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune,
la naissance ou sur toute autre situation. L’accès à l’Internet joue un rôle essentiel
dans la pleine réalisation du développement humain, ce qui facilite l’exercice et la
jouissance de nombreux droits et libertés fondamentaux, notamment le droit à
la liberté d’expression et d’accès à l’information, le droit à l’éducation, le droit de
réunion et d’association, le droit de participer pleinement à la vie sociale, culturelle
et politique, et le droit au développement économique et social.
Toute personne a le droit de ne pas être inquiétée pour ses opinions.
Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté
de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières,
des informations et des idées de toutes sortes au moyen de l’Internet et des
technologies numériques.
L’exercice de ce droit ne devrait être soumis à aucune restriction, sauf celles qui sont
prévues par la loi, qui poursuivent un but légitime expressément visé par le droit
international des droits de l’homme (à savoir les droits ou la réputation d’autrui, la
sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre public, de la santé ou de la moralité
publiques) et qui sont nécessaires et proportionnées en vertu de ce but légitime.
Toute personne a le droit d’accéder à l’information sur l’Internet. Toute
information, y compris celle issue de la recherche scientifique et sociale produite
avec le soutien de fonds publics, devrait être rendue disponible à tous librement,
y compris sur l’Internet.
Toute personne a le droit d’utiliser l’Internet et les technologies numériques dans
le cadre de la liberté de réunion et d’association, y compris à travers les plateformes
et réseaux sociaux.
Aucune restriction à l’accès et à l’utilisation de l’Internet et des technologies
numériques dans le cadre de la liberté de réunion et d’association ne peut
être imposée, sauf celle qui est prévue par la loi, qui poursuit un but légitime
expressément visé par le droit international des droits de l’homme (tel que spécifié
au Principe 3 de la présente Déclaration) et qui est nécessaire et proportionnée en
vertu de ce but légitime.
Les individus et les communautés ont le droit d’utiliser leur propre langue ou toute
autre langue de leur choix pour créer, partager et diffuser des informations et des
connaissances au moyen d’Internet.
La diversité linguistique et culturelle enrichit le développement de la société. La
diversité linguistique et culturelle de l’Afrique, notamment la présence de toutes les
langues africaines et minoritaires, devrait être protégée, respectée et encouragée
sur l’Internet.
Les individus et les communautés ont droit au développement, et l’Internet
joue un rôle fondamental en vue d’assurer la pleine réalisation des objectifs de
développement durable convenus aux niveaux national et international. Il s’agit d’un
instrument essentiel pour donner à tous les moyens de participer aux processus
de développement.
Toute personne a droit au respect de sa vie privée en ligne, y compris le droit à la
protection des données à caractère personnel le ou la concernant. Toute personne
a le droit de communiquer de façon anonyme sur Internet, ainsi que d’utiliser
la technologie appropriée pour garantir une communication sécurisée, privée
et anonyme.
Le droit au respect de la vie privée sur l’Internet ne devrait pas être soumis à des
restrictions, sauf celles qui sont prévues par la loi, qui poursuivent un but légitime
expressément visé par le droit international des droits de l’homme (tel que spécifié
au « Principe 3 » de cette Déclaration) et qui sont nécessaires et proportionnées
en vertu de ce but légitime.
Toute personne a le droit de jouir de la sécurité, stabilité et résilience de l’Internet.
En tant que ressource publique globale universelle, l’Internet devrait être un réseau
sécurisé, stable, résilient et fiable. Les différentes parties prenantes devraient
continuer à coopérer en vue d’assurer l’effectivité de la lutte contre les risques et
les menaces pesant sur la sécurité et la stabilité de l’Internet.
La surveillance illégale, le contrôle et l’interception des communications en ligne des
utilisateurs par des acteurs étatiques ou non étatiques, portent fondamentalement
préjudice à la sécurité et à la fiabilité de l’Internet.
Le droit de toutes les personnes, sans discrimination aucune, d’utiliser l’Internet
comme véhicule pour l’exercice et la jouissance de leurs droits humains, et pour
participer à la vie sociale et culturelle, devrait être respecté et protégé.
Toute personne a droit à une procédure régulière en rapport avec toute réclamation
fondée en droit ou violation de la loi ayant trait à l’Internet.
Les normes de responsabilité, y compris les moyens de défense dans les affaires
civiles ou pénales, devraient prendre en compte de l’intérêt public général à protéger tant l’expression que le lieu où elle s’exprime ; par exemple, le fait que
l’Internet constitue une sphère pour l’expression publique et le dialogue.
Toute personne a le droit de participer à la gouvernance de l’Internet. L’Internet
devrait être gouverné de manière à faire respecter et à renforcer les droits de
l’homme dans toute la mesure du possible. Le cadre de la gouvernance de l’Internet
doit être ouvert, inclusif, responsable, transparent et collaboratif.
En vue d’assurer l’élimination de toutes les formes de discrimination liées au genre,
les hommes et les femmes devraient avoir un accès égal à l’apprentissage, à la
définition, à l’accès, à l’utilisation et à la configuration de l’Internet. Les efforts pour
améliorer cet accès devraient par conséquent admettre et remédier aux inégalités
existantes entre les genres, notamment la sous-représentation des femmes aux
rôles décisionnelles, en particulier dans la gouvernance de l’Internet.